Quelle est la place du réemploi de pièces de rechange industrielles et de l’économie circulaire dans nos usines ?
Le recyclage est une question que nous connaissons bien en tant que particulier. Mais qu’en est t’il du réemploi et de l’économie circulaire de pièces de rechange industrielles ?
Nous avons interviewé Adil Mokhles, fondateur de la startup EcoSpare, pour qu’il nous parle de sa démarche et de la façon dont sa solution peut aider les industriels à gérer l’obsolescence de leur parc machine.
Pouvez-vous nous raconter qui vous êtes et quel est votre parcours industriel ?
Je suis un ancien de Schneider-Electric, chez qui j’ai travaillé pendant 14 ans. Je suis de formation ingénieur mécanique, puis j’ai suivi un mastère en marketing. Enfin plus récemment j’ai suivi un MBA en management de l’IAE de lyon.
Au contact avec le terrain, je me suis rendu compte de la difficulté pour les industriels de gérer les problématiques liées à l’obsolescence du matériel électrique et électronique.
Une course à l’innovation ?
Le problème actuel est que les fabricants font évoluer leurs gammes si bien que certains produits sont arrêtés. La concurrence provoque une course à l’innovation avec le développement de produits plus intelligents, plus rapides et moins encombrant. Les industriels utilisateurs des équipements se retrouvent alors dans deux situations :
- Les Grands entreprises et les grosses ETI, qui n’ont pas de problème financier pour modifier leur machine, pas de problème de structure pour disposer des compétences en internet (automaticiens, maintenance, techniciens). Elles sont aussi parfois contentes d’équiper leurs machines avec la nouvelle génération de composants. Soit pour des raisons d’image, soit pour augmenter les cadences, la productivité, etc.
- D’autres entreprises, surtout les PMI et les petites ETI, qui elles n’ont pas forcément les moyens de rénover leurs outils de production qui sont encore en état de marche. Et donc souvent pas la possibilité de remplacer un système complet.
Ces situations m’ont motivé à créer EcoSpare, une entreprise autour de la question du réemploi de pièce détachées. J’ai commencé en décembre 2019 le programme Startup Camp de l’incubateur de l’EM-Lyon suivi par un mentorat pour bénéficier d’un retour d’expérience et du conseil.
Aujourd’hui nous sommes 4 personnes dont un développeur, un responsable du contenu et un stagiaire pour la partie Marketing et digital.
Le marché des pièces de rechange reconditionnées en France représente 25M€ de chiffre d’affaire et 100Mio€ en Europe. Notre objectif est d’atteindre 10% de parts de marchés en trois ans. Avec un développement Européen envisagé à moyen terme aussi. Nous allons effectuer une levée de fond pour financer la conquête de l’Europe avec la traduction de la plateforme, et le recrutement des revendeurs étrangers en Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne, et d’autres pays européens.
D’où vous est venue l’idée de lancer EcoSpare, y a-t-il un évènement qui a été marquant ?
L’idée m’est venu à force de discuter avec les industriels. Ils exprimaient notamment leurs insatisfactions face à l’annonce des fabricants des arrêts de commercialisation du matériel électrique. Le besoin était donc évident pour moi. Mais dans le monde de l’entreprenariat, j’ai appris à ne pas me fier uniquement à mon intuition.
C’est pour cela que nous avons effectué une étude de marché auprès de 41 responsables de maintenance. 1 sur 2 préfère remplacer uniquement le produit obsolète par un autre. Ce qui représente 130 000 entreprises en France !
L’objectif d’EcoSpare est donc de structurer l’écosystème du marché de la pièce de rechange industrielle. Les industriels dépensent un budget considérable pour mettre à niveau des machines toujours fonctionnelles pour simplement s’assurer de disposer de pièces de rechanges en cas de panne. L’idée est de mettre en contact des industriels ayant des stocks de pièces dont ils souhaitent se débarrasser, avec des industriels qui recherchent des ces mêmes pièces de rechange. Il y a donc un double gain. D’une part les entreprises valorisent un stock de pièce. Et d’autre part les utilisateurs bénéficient de pièces qui ne sont plus produites par le fabricant.
Proposez-vous aussi d’offrir du service aux industriels ? Par exemple pour identifier les pièces de rechange à risque sur ses machines, et anticiper ainsi l’approvisionnement des pièces de remplacement
Oui, nous avons bien sûr un rôle à jouer concernant l’audit du parc machine d’une entreprise. Nous jouons aussi notre rôle d’intermédiaire de confiance pour mettre en contact les acheteurs et les vendeurs. Le réseau de 120 intégrateurs, dont nous disposons, est capable de faire ce type d’analyse dans toute la France.
Nous observons en effet que les fabricants de matériel font de l’audit, mais seulement sur leur matériel, or les industriels sont multimarques, ils ont besoin de quelqu’un qui fera l’audit de tout le matériel de leur parc machine.
Le premier service que nous allons lancer est un audit du parc installé. Un premier niveau sera proposé pour identifier l’obsolescence du matériel qui sera saisie sur la plateforme. Pour aller plus loin dans l’analyse et proposer des solutions, nous allons nous appuyer sur un réseau de 120 intégrateurs de systèmes. En effet, cela demande un déplacement chez le client pour faire une traversée du site pour analyser les données et faire une restitution. Ces deux services ne seront pas lancés avant 2 ou 3 ans après le lancement de la marketplace www.spare-place.com.
Concernant les gains liés au recyclage, avez-vous des données chiffrées ?
Oui, dans le cadre de la D3E (Déchets d’équipements électriques et électroniques) on sait qu’il y a 17000 tonnes de produits qui sont jetés au niveau professionnel. Ils sont valorisés pour environ 80% d’entre eux. Pour l’électroménager il y a une filière qui permet le recyclage. Mais pour les variateurs, le contrôle commande, les automates, ça demande des compétences. Les bancs de tests nécessaires sont un peu plus poussés. 2500 tonnes de matériel pourraient être remis dans le circuit pour être ré employé. On s’inscrit donc de cette façon dans l’économie circulaire.
Comment gérez-vous la garantie ?
La garantie minimum est de 3 mois. Ce sont les vendeurs professionnels, qui vont indiquer la garantie associée à chaque composant, lorsqu’ils mettent leur catalogue en ligne sur le spare-place.com. Les garanties pourront donc aller de 3 à 24 mois. Les professionnels auront aussi la possibilité de proposer des garanties payantes avec une évolution des prix en fonction de la durée de garantie. Le vendeur assure ensuite la garantie. Le client note le vendeur en fonction du service rendu. Le client peut ouvrir un litige pendant la période de garantie afin de trouver une solution aux éventuelles incompréhensions rencontrées. L’objectif est de fournir aussi une messagerie internet permettant un échange fluide entre les industriels pour trouver rapidement une solution à un manque de pièce.
Avez-vous établi des partenariats avec des fabricants de matériel ? Pour imaginer pouvoir proposer aussi des catalogues de produits obsolètes ou bien servir de relais concernant les pièces de rechange industrielles en fin de vie ?
En effet, nous sommes en train de nous rapprocher de certains fabricants comme Siemens et Schneider-Electric, afin de pouvoir communiquer sur l’obsolescence de leur matériel. L’objectif est qu’ils nous ouvrent leur base de données de manière à être informés au plus tôt et relayer cette information auprès de notre réseau. Nous offrons aussi la possibilité aux fabricants inscrits dans le cadre de l’économie circulaire, de déposer leurs offres de produit reconditionnés par eux. Avec cela, ils peuvent ouvrir des d’autres réseaux de distribution différent du réseau historique. L’objectif étant de proposer des solutions alternatives à la rénovation en attendant que les industriels préparent leurs budgets qui peut être conséquent.
Comment faites-vous pour faire face aux coûts de stockage que cela engendre
Les vendeurs assurent le stockage. Notre objectif est bien de fournir une place de marché avec spare-place.com. Nous ne gérons ni le transport, ni l’entreposage. Les pièces ne parcourent pas des kilomètres inutilement. Cela limite l’empreinte carbone. La livraison se fait directement par le vendeur professionnel.
Quel est le profil des vendeurs que nous pourrons trouver sur spare-place.com ?
Nous avons identifié deux types de vendeurs : premièrement les vendeurs professionnels, leur métier est de vendre des produits reconditionnés en France, mais la filière n’est pas bien organisée aujourd’hui. Nous avons des acteurs performants mais locaux. Notre ambition est de leur donner une visibilité par la fédération. Ensuite, nous visons aussi des professionnels, industriels, qui ont un stock de produits dormant (des stocks de maintenance liés à des machines qui ne sont plus utilisées par exemple). Le matériel a de la valeur marchande, il peut même être neuf, même s’il est âgé. Mais ils ne savent pas quoi en faire et la machine à laquelle étaient destinées ces pièces n’est parfois même plus dans l’usine, donc ils n’ont plus l’utilité de conserver ce stock. Ils vont donc pouvoir s’inscrire pour revendre le matériel.
En réalité ces seconds profils d’industriels ont le choix entre gérer par eux-mêmes la vente sur spare-place.com. Ou bien ils transmettent la liste de leur stock à des revendeur professionnels qui peuvent racheter les produits. Généralement ils choisiront cette seconde option. L’objectif est de trouver des solutions pour ne pas jeter les produits.
Comment va fonctionner la marketspace ? Pour que les clients s’y retrouvent ?
L’idée fondamentale est le principe de fiche produit unifiée. Nous allons travailler avec 200 000 références de différents fournisseurs, il est donc primordial de pouvoir s’y retrouver. Nous historisons par exemple des fiches produits pdf, nous en disposons de 6000 pour le moment. Mais l’objectif est de passer rapidement la barre du million de références pouvant être gérées sur spare-place.com. L’un de nos enjeux est que les produits soient retrouvés automatiquement lorsque le vendeur ajoute un nouveau produit. Une telle fonctionnalité est d’une grande complexité et cela prend du temps et c’est pour cette raison que le lancement de spare-place.com est prévu avant fin 2020.
Avez-vous des clients pilotes déjà, impliqués dans le recyclage de pièces de rechange industrielles, pour tester l’outils ?
Aujourd’hui nous avons déjà des consultations aussi bien en France qu’à l’international, cela permet de nous confronter au terrain et aux attentes de nos clients. Il s’agit de tester le marché pour vérifier nos hypothèses concernant la marketplace, et pendant la phase de test nous aurons besoin de béta testeurs.
Nous avons déjà 10 vendeurs professionnels qui nous font confiance aujourd’hui. Mais en effet nous sommes à la recherche de clients pour tester le système.
Le marché des pièces de rechange reconditionnées en France représente 25Mio€ de chiffre d’affaire et 100Mio€ en Europe.
Comment EcoSpare se rémunère-t-elle ?
En tant qu’intermédiaire de mise en relation, nous proposons nos services. A ce titre nous nous rémunérons en touchant une commission sur les transactions. L’avantage pour le vendeur c’est qu’il n’y a ni frais d’inscription, ni frais à la mise en vente des produits. Ce qui diffère de nos concurrents. Nous souhaitons que la tarification soit la plus transparente possible. Les vendeurs pourrons donc se projeter en toute confiance sur notre plateforme.
En termes de tarif pour l’acheteur des produits, avez-vous une idée de la position du marché ?
Oui bien évidemment nous avons mené une étude à ce sujet. Nous estimons qu’il faut que le prix d’un composant d’occasion soit environ la moitié du prix marché neuf pour que l’acheteur trouve un intérêt à acheter un produit d’occasion qui est encore commercialisé neuf par le fabricant. La garantie elle aussi entre en jeu et il faut qu’il y ait encore 12 mois de garantie sur le produit.
Sur le produit obsolète, il n’y a pas de comparaison possible. Si on veut se comparer au prix du neuf avant l’arrêt de commercialisation. Dans ce cas le produit peut être vendu plus cher. Car le client compare avec le prix de modification de tout son système. De toute façon nos clients mènent une étude de rentabilité avant de prendre ce genre de décision. La rareté peut valoriser le prix du produit car celui-ci rend service à l’utilisateur. Mais il ne faut pas, bien sûr, que le budget soit comparable à la rénovation complète du matériel.
Comment voyez-vous les prochaines étapes pour EcoSpare ?
Le prochain jalon important pour nous est la sortie de la marketplace spare-place.com. Ensuite viendra le temps du renforcement des partenariats. Le parcours d’une startup est rempli de challenges, c’est pourquoi il ne faut pas se disperser, et il faut rester focus sur l’activité principale avant de passer aux suivantes.